A 2500 mètres de profondeur, au large de Toulon, un observatoire unique pour les neutrinos et le réchauffement climatique
Cette plateforme immergée en Méditerranée va partir en quête de ces particules presque impossibles à saisir que sont les neutrinos, mais aussi analyser l'environnement dans laquelle elle est plongée. Une approche originale pour quantifier les effets du réchauffement climatique et des changement environnementaux.
L'observatoire KM3NeT immergé à 2500 mètres de profondeur est dédié à l'étude des neutrinos, ces mystérieuses et insaisissables particules.
LSPM/CPPM
"Une prise électrique et une connexion haut débit à 2500 mètres sous la surface, c'est déjà un exploit !" s'enthousiasme Cristinel Diaconu, directeur du Centre de Physique des Particules de Marseille dont les équipes ont mis en place le Laboratoire Sous-marin Provence Méditerranée (LSPM), du CNRS co-piloté avec Aix-Marseille Université et l’Ifremer, installé à 40 m au large de Toulon. L'installation a été officiellement inaugurée le 24 février 2023. Cette plateforme interdisciplinaire ne se résume bien évidemment pas à ces deux caractéristiques puisqu'elle abrite un détecteur géant de neutrinos ainsi que plusieurs instruments destinés à analyser l'environnement profond de cette partie du golfe du Lion.
Le plus grand détecteur de neutrinos
L'instrument principal du LSPM est en effet le Cubic Kilometre Neutrino Telescope, aussi nommé KM3NeT, qui pourra observer jusqu'à 50 fois plus de neutrinos par an que son prédécesseur le télescope sous-marin Antares. Le principe de fonctionnement est le même : quand un neutrino interagit avec la matière, il produit des particules chargées qui se propagent dans l'eau à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans l'eau (mais toujours inférieure à c, la vitesse de la lumière dans le vide). Ce faisant elles émettent de la lumière par effet Tcherenkov, l’équivalent pour la lumière du bang supersonique. C'est cette lueur, bleutée, que vont repérer les photodétecteurs de KM3NeT.
Antares comptait 12 lignes de capteurs, le site français de KM3NeT (ORCA) occupera un volume de plus de 1 km3 avec 2070 "yeux" agencés sur 115 lignes flexibles. Un autre détecteur jumeau, ARCA, est également mis en place à 3400 mètres de profondeur, au large de Capo Passero, en Sicile. A eux deux, ces instruments vont tenter de percer deux mystères : celui des neutrinos de très haute énergie qui sont formés par des processus cosmiques. Leur étude offrirait une nouvelle façon d'étudier des astres lointains et des phénomènes encore mal compris comme les explosions d'étoiles ou les fusions de trous noirs. Et le site français sera plus particulièrement chargé de "sonder ce 'super-chat' de Schrödinger que sont les neutrinos. En effet, un neutrino est en réalité une superposition quantique de trois états, trois saveurs, et selon le moment où il est observé, il peut osciller entre ces trois états. Percer le secret de cette oscillation ouvrirait de nouvelles pistes et contraintes pour le modèle standard", explique Mathieu Perrin-Terrin, responsable scientifique KM3NeT-France.
Une base sous-marine pour l'environnement
L'autre axe de recherche développé par le LSPM s'articule autour de multiples instruments qui doivent cette fois percer les mystères des profondeurs. Ils sont organisés autour de nœuds de connexion (image ci-dessous) qui capables d’alimenter plusieurs instruments scientifiques et d’en récupérer les données en temps réel grâce à un câble électro-optique de 42 kilomètres. Trois sont déjà sous l'eau et l'ajout d'un nouveau câble permettra d'en compter jusqu'à 5 au total. Grâce à eux, les scientifiques, dans le cadre du réseau d’observatoires sous-marins de l’infrastructure de recherche européenne EMSO, pourront recevoir en temps réel les données transmises par leurs équipements.
Nœud de connexion immergé. Crédit : Ifremer.
Parmi ces équipements, le rover BathyBot, développé par l'Institut méditerranéen d'océanologie, pourra se déplacer grâce à ses chenilles sur le plancher océanique et relever de multiples paramètres sur l'eau et le courant marin. L'engin disposera aussi d'une rampe bio-inspirée, le BathyReef, sur laquelle il pourra grimper pour effectuer des observations et dont les scientifiques espèrent qu'elle finira par être colonisée par des organismes marins profonds. Le robot est également équipé d'une caméra chargée d'étudier la bioluminescence de ces organismes dont 75% sont capables d'émettre de la lumière dans cet environnement que le Soleil n'atteint pas. Une autre biocaméra sera installée sur le plancher océanique pour tenter d'identifier les animaux ou bactéries responsables de cette luminescence.
Car des phénomènes étranges ont déjà perturbé les photodétecteurs d'Antares, le prédécesseur de KM3NeT : ainsi deux épisodes survenus entre mars et juillet des années 2009 et 2010 ont littéralement ébloui le télescope. Le bruit de fond lumineux mesuré par le détecteur, généralement compris entre 40 et 100 kHz, est soudain passé à 9000 kHz ! Ce pic de bioluminescence coïncide avec une augmentation de la température de l'eau et de la salinité. Un lien apparait aussi avec les mouvements de convection ayant eu lieu dans le golfe du Lion, quand de vastes masses d’eau de la surface ont plongé vers le fond.
Le BathyBot et d'autres instruments de mesures sur le plancher océanique. Crédits : Dorian Guillemain, OSU/MIO, DT-INSU.
Enfin, d'autres capteurs répartis sur une ligne composée de deux câbles inductifs de 1000 mètres de long permettront de suivre l'évolution de la colonne d'eau de 500 mètres jusqu'au fond et d'étudier plus précisément les effets du changement climatique et les impacts des activités humaines sur l'océan profond. Et pour l'autre versant de mieux connaître les processus tectoniques, volcaniques ou hydrothermaux qui pourraient menacer les zones côtières à forte densité de population.
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